12.06.202510 min
Réforme fiscale : un premier projet de loi déposé à la Chambre
Il était attendu, le projet de loi-programme (ci-après le « Projet ») a été déposé à la Chambre des représentants à la fin du mois dernier. Certaines mesures qui figuraient dans l’accord de gouvernement, comme la suppression de la déduction ordinaire d’intérêts ou la modification du régime de la SICAV-RDT, ne sont étonnamment pas reprises dans le texte. Probablement, le seront-elles dans un texte ultérieur.
Par ailleurs, la taxation des plus-values sur les instruments financiers que le gouvernement souhaite instaurer est encore en discussion. Ce régime fera donc l’objet d’un projet de loi distinct.
Nous vous exposons dans cet article certaines des mesures fiscales actuellement soumises au vote du Parlement. Bien que celles-ci ne soient pas encore définitives, elles ne devraient a priori pas varier de manière importante suite au débat parlementaire, s’agissant d’un texte issu d’un accord au sein du gouvernement. Il conviendra bien entendu d’être attentif au texte voté.
Taxe annuelle sur les comptes-titres
La taxe annuelle sur les comptes-titres de 0,15% vise les instruments financiers détenus sur un compte d’une valeur moyenne supérieure à 1 millions d’euros.
Lors de l’instauration de la version actuelle de la taxe¹, la loi prévoyait deux mesures spécifiques destinées à lutter contre l’évitement de la taxe. Etaient ainsi considérées comme inopposables à l’égard de l’administration fiscale et par conséquent à l’égard de la banque chargée de prélever la taxe :
- la scission d’un comptes-titres en plusieurs comptes-titres détenus auprès du même intermédiaire,
- la conversion d’instruments financiers imposables, détenus sur un compte-titres, en instruments financiers nominatifs.
Par un arrêt du 27 octobre 2022, la Cour constitutionnelle avait toutefois annulé ces dispositions car les contribuables n’avaient pas la possibilité de démontrer que les opérations concernées étaient motivées par des raisons autres que fiscales.
Le Projet propose de réinstaurer ces dispositions anti-abus en offrant cette fois cette possibilité au contribuable.
Ainsi, le Projet précise que lorsque la valeur des instruments imposables figurant sur un compte-titres, immédiatement avant une conversion ou un transfert, atteindra le seuil imposable et qu’il y aura une conversion en instruments nominatifs ou un transfert, cette conversion ou ce transfert ne sera pas opposable à l’administration sauf motif principalement autre que l’évitement de la taxe.
En l’absence de tels motifs, il appartiendra au contribuable titulaire du compte, et non plus à la banque, de déposer la déclaration nécessaire et d’effectuer le paiement dû.
En vue de faciliter les contrôles, une obligation d’information, dont les modalités devront être fixées par arrêté-royal, sera imposée aux banques sous peine d’amendes.
Les banques devront informer les autorités fiscales de toute conversion ou transfert à partir de comptes présentant avant ces opérations un solde supérieur à 1 millions d’euros, sans s’inquiéter des motifs à l’origine de l’opération. Pour les comptes étrangers, cette obligation incombera au titulaire du compte.
Par exemple, un père donne 500.000 euros à son fils avec réserve d’usufruit, à partir d’un compte d’une valeur après donation de 1.300.000 euros. La banque devra prélever la taxe sur la valeur moyenne du compte, celle-ci étant supérieure à 1.000.000 euros et elle devra déclarer le transfert de 500.000 euros. Etant donné que celui-ci résulte d’une donation, le père ne devra pas déposer de déclaration. En cas de contrôle, il communiquera l’acte de donation au fisc pour justifier le transfert.
Ces mesures devraient entrer en vigueur le 1er juillet 2025.
Carried interest
Le Projet prévoit d’instaurer un régime fiscal spécifique à l’impôt des personnes physiques pour ce qu’on appelle les « carried interest », c’est-à-dire les revenus attribués aux gestionnaires de fonds d’investissement, surtout dans le domaine du « private equity », en fonction de la performance obtenue.
Ces revenus seront imposables, à titre de revenu mobilier, au taux de 25 %. Si les « carried interest » sont perçus via une société, celle-ci ne pourra en outre pas les affecter à une réserve de liquidation qui ne pourra donc pas les attribuer à son actionnaire avec application du taux réduit (Cf, ci-dessous).
Le nouveau régime devrait entrer en vigueur le jour de la publication de la loi au Moniteur belge et être applicable aux revenus attribués à partir de cette date, à l’exception des revenus attribués par un véhicule mis en liquidation au plus tard au moment de l’entrée en vigueur dudit régime. Ceux-ci resteront eux en dehors du champ d’application du nouveau régime.
Exit tax
Lorsqu’une société belge transfère son siège dans un autre Etat, la législation fiscale prévoit une fiction de liquidation qui a pour effet de soumettre les plus-values latentes sur les actifs de la société à l’impôt des sociétés.
Cette fiction sera, selon le Projet, étendue aux actionnaires de la société qui seront donc supposés à des fins fiscales recevoir un « boni de liquidation fictif » en proportion des actions détenues dans la société émigrante. Ce boni de liquidation sera imposable à l’impôt des personnes physiques au taux de 30 %.
Les actionnaires sociétés, en règle imposables sur tous leurs revenus au taux de 25 %², pourront ici affecter le boni de liquidation fictif à une réserve de liquidation. Par ailleurs, pour autant que les conditions soient réunies, le boni de liquidation fictif pourra bénéficier du régime RDT (Cf, ci-dessous).
Des dispositions sont par ailleurs instaurées par le Projet en vue de permettre à l’actionnaire qui aurait été imposé au moment de l’émigration de la société de demander une exonération du boni de liquidation perçu à l’occasion de la liquidation effective de celle-ci.
Cette mesure devrait être applicable aux opérations réalisées à partir du 1er juillet 2025.
Réserve de liquidation et VVPR bis
Le régime de réserve de liquidation permet de diminuer à certaines conditions le taux d’imposition d’une distribution de dividendes ou d’un boni de liquidation en principe soumis au précompte mobilier de 30 %. Parmi ces conditions, la société doit respecter un délai d’attente de 5 ans avant de procéder à une distribution de dividendes à son actionnaire.
Pour rappel, le système est le suivant : lors de la répartition bénéficiaire la société peut décider d’affecter tout ou partie de son bénéfice à une réserve distincte du passif et paye au moment de sa déclaration fiscale une cotisation de 10 % sur le bénéfice affecté à cette réserve. Si elle attend 5 ans avant de distribuer cette réserve à son actionnaire, le taux de précompte mobilier à retenir sur le dividende est de 5 %. Ce système aboutit à une taxation effective du dividende de 13,64 % (après imposition à l’impôt des sociétés).
A côté de ce régime d’imposition favorable, il existe également celui du régime VVPR bis, qui permet quant à lui de réduire, à certaines conditions, le taux du précompte mobilier applicable à une distribution de dividendes à 20 % ou 15 % (au lieu de 30 %). Entre autres conditions, ce régime n’est applicable que pour les dividendes attribués aux actions émises depuis le 1er juillet 2013 à l’occasion d’une augmentation de capital en espèces. Le taux réduit de 20 % est applicable en cas de distribution effectuée lors de la répartition bénéficiaire du deuxième exercice comptable qui suit celui de l’apport et le taux de 15 % est applicable aux distributions ultérieures (à partir du troisième exercice comptable).
D’abord, le Projet aligne les taux de ces deux régimes. Ainsi, il est prévu que le taux de 5 %, actuellement applicable dans le cadre du régime de réserve de liquidation passera à 6,5 %. De cette manière, le taux effectif d’imposition sera de 15 % à l’instar de celui résultant du régime VVPR bis (et non plus de 13,64 %).
En outre, le Projet réduit le délai d’attente à 3 ans.
Le nouveau taux et le nouveau délai seront applicables aux réserves constituées à partir du 1er janvier 2026. La possibilité sera également octroyée d’opter pour le nouveau régime et distribuer après 3 ans les réserves de liquidation constituées avant le 1er janvier 2026, ce qui impliquera la retenue d’un précompte mobilier de 6,5 % au lieu de 5 % si l’ancien délai est respecté.
Par ailleurs, le taux de 20 % du régime VVPR bis ne sera maintenu que pour les apports effectués jusqu’au 31 décembre 2025. Pour les apports ultérieurs, ce taux sera supprimé.
Régime RDT
En principe, les dividendes et les plus-values réalisées sur les actions individuelles détenues par une société sont soumis à l’impôt des sociétés (au taux de 25 %³), sauf si la participation détenue répond à un certain nombre de conditions prévues par ce qu’on appelle en droit belge le régime des « revenus définitivement taxés » ou « RDT ».
Selon ce régime, les dividendes perçus et les plus-values réalisées sur les actions peuvent être exonérés d'impôt des sociétés, pour autant que :
1.
La participation dans la société distributrice / cédée (selon qu´il s´agisse respectivement de dividendes ou de plus-values) atteigne au moins 10 % ou ait une valeur d’acquisition d’au moins 2.500.000 euros (= condition de participation),
2. Les actions soient détenues en pleine propriété pendant une période ininterrompue d’au moins un an (= condition de permanence),
3. Il s´agisse d´actions de sociétés soumises à un régime fiscal normal d’imposition (= condition de taxation).
Le gouvernement prévoit, pour les sociétés qui ne sont pas des « petites sociétés », que les participations qui n’atteignent pas 10 % mais bien le seuil de 2.500.000 euros devraient en outre avoir la nature "d'immobilisation financière". Les petites sociétés sont les sociétés qui, pour deux exercices consécutifs, ne dépassent pas plus d'un des critères suivants, lesquels doivent être analysés sur une base consolidée :
- Nombre de travailleurs en moyenne annuelle : 50,
- Chiffre d'affaires annuel hors TVA : 11.250.000 euros,
- Total bilantaire : 6.000.000 euros.
La notion d’immobilisation financière est celle du droit comptable. Selon celui-ci, peuvent être comptabilisées sous la rubrique relative aux « Autres immobilisations financières⁴ », les actions dont la détention vise, par l’établissement d’un lien durable et spécifique avec l’entreprise dans laquelle les actions sont détenues, à contribuer à l’activité de la société détentrice.
En d’autres mots, il faut démontrer que la participation a un intérêt stratégique pour l’activité de la société actionnaire (par exemple, en raison de relations d’affaires spécifiques, d’activités communes, etc.). Il s’agit d’une question de fait qui exclut les actions acquises des fins d’investissement uniquement.
Ces dispositions devraient entrer en vigueur à dater de l’exercice d’imposition 2026. Elles seront donc applicables aux dividendes attribués et aux plus-values réalisées depuis le 1er janvier 2025.
Suppression de l’accroissement de 10 % en cas de bonne foi
A l’heure actuelle, lorsque l’administration fiscale procède à une rectification d’impôt, elle peut renoncer en cas de bonne foi du contribuable à l’accroissement d’impôt de 10 % en principe applicable pour une première infraction (sans intention frauduleuse).
Le Projet entend modifier le texte de loi de façon à prévoir que lorsqu’un contribuable est en infraction pour la première fois, il est présumé être de bonne foi, avec pour conséquence que l’accroissement de 10 % n’est pas applicable, sauf si l’administration fiscale démontre que le contribuable n’est pas de bonne foi ou a agi avec intention frauduleuse.
L’Exposé des motifs donne l’exemple du contribuable qui déduit sciemment des frais qui ne sont manifestement pas professionnels, comme n’étant pas de bonne foi.
Régularisation fiscale
Le Projet réinstaure une procédure de régularisation fiscale, plus stricte que la précédente.
Les montants non prescrits seront soumis au tarif normal, majoré d’une amende de 30 %. Ainsi, à titre d’exemple, les dividendes et intérêts produits par un portefeuille-titres régularisés seront soumis à un taux global de 60 % (tarif normal de 30 % + amende de 30 %).
Les capitaux prescrits seront eux soumis à un taux forfaitaire de 45 %.
Un accord de coopération devra être conclu entre l’Etat fédéral et les Régions pour les impôts qui relèvent de leur compétence, comme les droits de succession, pour autant bien entendu que celles-ci souhaitent mettre en place une nouvelle régularisation.
La nouvelle régularisation devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2025.
¹ La première version avait pour rappel été annulée par arrêt de la Cour constitutionnelle du 17 octobre 2019.
² 20 % à certaines conditions.
³ 20 % à certaines conditions.
⁴ Pour comptabiliser sous les rubriques relatives aux « Participations dans des entreprises liées » ou aux « Participations dans des entreprises avec lesquelles il existe une relation de participation », il faut un pourcentage de détention minimum de 50 % ou 10 % qui n’est par hypothèse pas rempli en l’espèce.