Là où le soleil se lève
Tous les regards se tournent vers l'Est. Il y a quelques années seulement, les grandes maisons de vente aux enchères ont commencé à inclure l'art occidental dans leurs ventes à Hong Kong. Depuis lors, la numérisation du marché, qui a détruit les frontières physiques, et l'émergence de la nouvelle génération de collectionneurs fortunés ont fait grimper la part de marché de l'Asie, qui se rapproche désormais de celle des États-Unis.
On peut se demander si cette tendance reflète un marché plus équilibré, ou si ce changement entraînera une nouvelle autorité à long terme sur les États-Unis et l'Europe. De fait, les collectionneurs asiatiques ne se concentrent pas uniquement sur les artistes locaux, mais élargissent plutôt leurs horizons pour s’approprier l’art occidental. Le contraire ne s'applique pas, si l'on regarde les lots proposés à Londres et à New York, avec une faible représentation asiatique dans leur offre. Peut-être n'apprécions-nous pas leur valeur à juste titre, ou bien les récentes mesures de répression de la liberté d'expression ont-elles fait fuir les artistes de leur pays d'origine, laissant un approvisionnement en art local plus mince. Cela dit, les artistes asiatiques ont tendance à rester dans leur pays d'origine, ce qui renforce la visibilité et la demande locales. Ils prennent désormais les devants au niveau mondial, notamment par le biais de leur génération Y de collectionneurs HNW. Grâce aux ventes digitales et à l'absence de frontières physiques, l'accès en ligne est désormais donné à une génération férue de technologie qui est prête à acheter en un clic.
Derrière les écrans
Développées à l'origine comme un mécanisme d'adaptation aux restrictions liées au Covid, les ventes en ligne ont bondi cette année. Ce canal numérique a abaissé les barrières d'entrée pour les collectionneurs de la génération Y, plus avertis en matière de technologie que leurs homologues plus âgés. Il a également ouvert les frontières géographiques pour permettre un accès en temps réel à l'échelle mondiale. Ce phénomène est probablement combiné à la montée en puissance des collectionneurs émergents venus de l'Est.
Grâce à la combinaison de catégories et de thèmes flexibles, ainsi qu'à une plus grande ouverture sur le marché, les ventes en ligne ont contribué à atténuer l'impact de la pandémie tout en ouvrant les portes à de nouveaux acheteurs du monde entier.
Capital virtuel
La poussée vers un marché de l'art digital a également été déclenchée par l'essor des Non Fungible Tokens (ou jetons non fongibles, NFT). Beeple est désormais le troisième artiste vivant le plus cher, aux côtés de David Hockney et Jeff Koons. Avant mars 2021, son nom était inconnu pour beaucoup, mais sa vente aux enchères record chez Christie's l'a propulsé dans les hautes sphères. « Everyday : the first 5000 days » s’est vendu pour près de 70 millions de dollars.
Depuis lors, la ruée vers l'or par le biais des NFT n'a pas cessé. Par ailleurs, les ventes secondaires des NFT ont augmenté au cours de l'année, ce qui confirme la présence durable de ce marché parallèle.
D'un point de vue philanthropique, les NFT ont également trouvé un usage positif pour les institutions qui ne parviennent pas à maintenir des programmes d'acquisition en raison d'un manque de financement et de l'impact du Covid. Lorsque les musées tournent à vide, la création de NFTs soutient leur financement pour la restauration ou l'acquisition de nouvelles œuvres, tout en recréant une relation avec les jeunes générations qu'ils avaient perdues de vue.
Voir la réalité en face
Bien que le Covid ait eu un impact négatif indéniable sur le marché de l'art, tant en termes de ventes que pour le secteur culturel, il a mis en lumière plusieurs problèmes à résoudre. Des améliorations considérables ont été constatées grâce à la digitalisation des ventes, ouvrant le marché et abaissant les barrières d'entrée pour les jeunes artistes et collectionneurs. Cette pandémie a également permis la création d'un nouveau marché parallèle et d'œuvres d'art virtuelles à la symbolique unique, donnant ainsi plus de pouvoir aux artistes et établissant de nouveaux goûts.
Ces évolutions positives accélérées par le Covid ne résolvent pas tous les problèmes historiques du marché, comme le manque de transparence ou de liquidité. Il se peut aussi qu'il en ait créé de nouveaux. Dans un marché animé par des cycles de tendances plus rapides et des prix insoutenables grâce aux canaux de vente digitaux, comment éviter de brûler la carrière de jeunes artistes en pleine ascension ? La montée des collectionneurs asiatiques s’accompagne d’une raréfaction de l’art occidental vers l’Orient. Faut-il alors craindre un futur déséquilibre en conséquence de cette vague unidirectionnelle ? Si les NFT peuvent aider les institutions et créer une nouvelle vague d'esthétique pour la prochaine génération, est-il encore possible d'apporter un cadre réglementaire qui ne nuira pas à ce marché en pleine croissance en lui retirant son principal avantage ?
Ces tendances vont certainement se consolider avec le temps, et il est difficile d’en prédire la direction. Il y a malgré tout une certitude, c’est que le marché de l’art a réussi l’exercice de réinvention pour s’adapter à son nouvel environnement.