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Saut de génération : puis-je transmettre l'héritage de mes parents à mes enfants ?

Ariane Joris - Head of Estate Planning
Il est de plus en plus fréquent que les enfants reçoivent une donation ou un héritage de leurs parents à un âge de plus en plus avancé. Les enfants ont généralement, à ce moment-là, déjà constitué leur propre patrimoine et n’ont plus nécessairement besoin de cette donation ou de cet héritage au contraire des petits-enfants, qui eux commencent leur propre parcours de vie et pour qui un coup de pouce de la part des grands-parents est le bienvenu. Face à ce constat, le législateur a pris des mesures afin d’encourager le ‘saut de génération’. Un tel saut de génération peut être réalisé de différentes manières : soit par les grands-parents eux-mêmes soit par leurs enfants.
Dans notre précédent article, nous avions abordé le saut de génération qui pouvait être mis en place par les grands-parents eux-mêmes.
Mais qu'en est-il lorsque les grands-parents n'ont pris aucune disposition de leur vivant en faveur de leurs petits-enfants ? Nous traiterons dans le présent article, de ce que les parents peuvent mettre en œuvre, au décès de leurs parents (grands-parents), s’ils souhaitent que leurs enfants (petits-enfants) bénéficient quand même de la succession de leurs parents (grands-parents). Ainsi, les enfants peuvent également prendre l’initiative d’un saut de génération en faveur de leurs enfants. Ce saut de génération peut être total et dans certaines régions également partiel.

Le saut de génération total

Supposons qu’au décès du grand-parent, un des enfants (parent) estime qu'il est suffisamment fortuné et qu'il souhaite que sa part dans la succession soit directement transmise à ses enfants (petits-enfants). Dans ce cas, la loi offre à l’enfant (parent) la possibilité de renoncer à la totalité de sa part dans la succession de son parent en faveur de ses propres enfants (les petits-enfants de la personne décédée). Ainsi, en renonçant à la succession, les petits-enfants reçoivent directement la totalité de la part dans la succession qui aurait normalement dû revenir à leur parent au décès du grand-parent.
Une renonciation à la succession doit être faite par une déclaration devant notaire.
Outre l’avantage civil que présente cette renonciation, à savoir permettre aux petits-enfants qui en ont besoin de recueillir directement les fonds, cette renonciation présente également un voire deux avantages fiscaux en fonction de la région dans laquelle le défunt résidait.

Exemple

Grand-père Jean (veuf) décède en laissant derrière lui un enfant, Isabelle, (qui a elle-même trois enfants, Louis, Marie et Thomas) et un patrimoine mobilier de 600.000 euros. A défaut, d’acte particulier, son enfant unique, Isabelle, héritera de l'ensemble du patrimoine sur base de la dévolution légale prévue par la loi. En fonction de la région dans laquelle Jean était résident (la région où Jean a vécu le plus longtemps au cours des cinq dernières années avant son décès), Isabelle sera redevable des droits de succession suivants:

Quelles sont les conséquences fiscales de ce saut de génération ?

1. Dans la Région de Bruxelles-Capitale et la Région wallonne, la renonciation à la succession en faveur des enfants a pour conséquence que l’on saute la succession du parent et que par conséquent les mêmes biens ne seront soumis qu'une seule fois aux droits de succession, à savoir au décès du grand-parent. L'avantage fiscal réside donc dans le fait que, lorsque l'enfant renonce à la succession, il évite que droits de succession ne soient payés deux fois sur un même patrimoine (la première fois au décès du grand-parent et la seconde fois au décès du parent).
Toutefois, la renonciation en faveur des (petits-)enfants ne permet pas d’optimaliser les droits de succession dus au décès du grand-parent et ce même si par le fait de la renonciation le nombre d’héritiers a augmenté. En effet, en Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale, la renonciation àune succession ne peut jamais porter préjudice à l’administration fiscale. Par conséquent, les droits de succession dus par les petits-enfants (suite à la renonciation) seront toujours au moins égaux à ceux qui auraient été dus si le parent n'avait pas renoncé à la succession.

Exemple

A défaut de renonciation par Isabelle, la succession de Jean reviendra à Isabelle et des droits de 116.250 euros en Région wallonne et de 115.300 euros en Région de Bruxelles-Capitale seront dus. Ensuite, au décès d’Isabelle – si ces biens n’ont pas été consommés - Louis, Marie et Thomas hériteront à leur tour des 600.000 euros, et devront à nouveau payer des droits de succession.
Au contraire, si Isabelle renonce à la succession, Louis, Marie et Thomas hériteront directement de Jean de sorte que des droits de succession ne seront pas dus une seconde fois au décès d’Isabelle. Toutefois, au décès de Jean les droits de succession dus par Louis, Marie et Thomas en Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale s’élèveront également à respectivement 116.250 euros et 115.300 euros.

2. En Région flamande, la renonciation offre le même avantage fiscal que dans les Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale, à savoir éviter que les biens ne fassent l’objet deux fois de droits de succession. En outre, en Région flamande, les droits de succession seront directement calculés sur la part nette que chaque petit-enfant recueillera. Ainsi, si le parent a plusieurs enfants, sa renonciation va augmenter le nombre d’héritiers et donc casser la progressivité des droits de succession au décès du grand-parent.

Exemple

Si Isabelle renonce à la succession, Louis, Marie et Thomas hériteront directement de Jean de sorte que des droits de succession ne seront pas dus une seconde fois au décès d’Isabelle. En outre, les droits de succession dus au décès de Jean par Louis, Marie et Thomas en Région flamande au total de 45.000 euros de droits de succession (soit 15.000 euros par petits-enfants) au lieu de 114.000 euros de droits de succession qu’aurait dû payer Isabelle, enfant unique, si elle avait hérité (seule) de la succession.
Il revient aux parents de décider librement de renoncer à la succession de leur parent décédé en faveur de leurs enfants, ou au contraire d’accepter la succession. Dans ce dernier cas, les petits-enfants n'hériteront pas de leur grand-parent. En effet, la renonciation à une succession ne peut-être que totale. On ne peut renoncer partiellement à sa part dans la succession. Ainsi, les petits-enfants recevront la totalité de la succession si le parent renonce à la succession ou au contraire ils ne recevront rien si le parent accepte la succession.

Le saut de génération partiel

En Région flamande, si le parent a accepté sa part dans la succession, il lui est encore possible moyennant le respect de certaines conditions de transmettre une partie de ce dont il a hérité de la succession de manière fiscalement avantageuse. C'est ce qu'on appelle un "saut de génération partiel". Grâce à cette possibilité, le parent ne doit plus renoncer (totalement) à la succession de son parent pour en faire bénéficier en tout ou en partie ses propres enfants (petits-enfants du défunt).

Comment fonctionne le saut de génération partiel ?

Le parent accepte la succession de son parent décédé et paye les droits de succession. Ensuite, dans un second temps, il peut donner à ses enfants tout ou partie de la part dans la succession dont il a hérité.

Exemple

Isabelle, hérite de 600.000 euros de biens mobiliers de Jean et paie des droits de succession sur ces biens ( 114.000 euros en Région flamande).
Isabelle pourra ensuite donner une partie de la succession à ses enfants en exonération des droits de donation.
En Région flamande, les droits d’enregistrement sur cette donation ne sont pas dus pour autant que les conditions suivantes soient remplies :
1.
la succession doit avoir été ouverte en Région flamande ;
2.
les droits de succession doivent avoir été effectivement payés dans les temps et au tarif "en ligne directe et partenaires" ;
3.
la donation-transfert doit être effectuée dans l'année qui suit le décès ;
4.
la donation doit être "immédiate" et ne pas être soumise à une condition suspensive ni à un délai suspensif ;
5.
la donation doit être faite par acte notarié ;
6.
le donateur doit être une personne qui a payé les droits de succession selon le tarif "en ligne directe et entre partenaires".;
7.
le donataire de la donation doit être les « descendants » du donateur, c'est-à-dire les enfants et petits-enfants, ou les personnes qui y sont assimilées par la loi, comme les beaux-enfants ;
8.
enfin, l'exonération des droits de donation ne peut pas dépasser le montant des droits de succession payés.
Cette donation peut intervenir en pleine propriété ou en nue-propriété avec réserve l'usufruit.
La Région wallonne a prévu un mécanisme similaire. Toutefois, si le décret a été approuvé, il n'est pas encore entré en vigueur au moment de la publication de cet article.
Dès l’entrée en vigueur du décret, un parent qui hérite de son parent (grand-parent) pourra faire une donation à ses propres enfants (les petits-enfants de la personne décédée) au taux de 0% de droits de donation, pour autant que les conditions suivantes soient remplies :
1.
les droits de succession doivent avoir effectivement été payés et à temps selon le tarif "en ligne directe et partenaires" ;
2.
la donation doit être effectuée dans les 90 jours du dépôt de la déclaration de la succession. (la déclaration de la succession doit être faite dans les quatre mois du décès si celui-ci est survenu en Belgique) ;
3.
la donation doit être faite par acte notarié ;
4.
le donateur peut être un enfant ou un petit-enfant de la personne décédée ;
5.
le donataire de la donation doit être l'enfant ou les enfants du donateur ;
6.
la donation doit porter sur la pleine propriété des biens (le donateur ne peut pas se réserver l'usufruit des biens donnés), toutefois, d'autres conditions peuvent être attachées à la donation.
La limitation en Région flamande selon laquelle la valeur de l'exonération des droits de donation ne peut dépasser les droits de succession payés n'est pas applicable en Région wallonne.
Dans la Région de Bruxelles-Capitale, la possibilité d'effectuer un saut de génération partiel par le biais d'une telle donation-transfert n’existe pas encore.

Conclusion

En raison de l'augmentation de l'espérance de vie, le législateur a pris diverses mesures pour faciliter la transmission du patrimoine aux petits-enfants.
  • Les grands-parents peuvent prendre l'initiative de faire directement profiter leurs petits-enfants en leur faisant une donation ou en les incluant dans leur testament. De cette manière, en tant que grands-parents, ils sont sûrs que leurs petits-enfants reçoivent la part du patrimoine qu’ils souhaitent leur destiner.
  • Si les grands-parents n’ont pas pris l'initiative de favoriser leurs petits-enfants, les enfants (parents) peuvent décider de transmettre à leurs propres enfants tout (ou partie) des biens dont ils héritent de leur parent (grand-parent). En effet, le législateur, de manière fiscalement avantageuse, a permis aux enfants (parents) de renoncer à la succession de leur parent en faveur de leurs propres enfants (petits-enfants) et en Région flamande de donner à des conditions fiscalement avantageuses tout ou partie de ces biens hérités à leurs propres enfants peu de temps après le décès du grand-parent.
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