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Fondation actionnaire : Tout comprendre en 5 questions

Silvia Steisel - Managing Director of Degroof Petercam Foundation
Marie Melikov - Senior Program Manager of Degroof Petercam Foundation
Ce modèle de participation, qui permet de faire converger les intérêts économiques et philanthropiques, bien qu’elle soit peu connue, est une typicité bien européenne. Découvrez tout ce qu’il faut savoir sur la fondation actionnaire.
Lorsqu’Yvon Chouinard, fondateur de l’entreprise Patagonia annonçait il y a un peu plus d’un an qu’il faisait don de l’ensemble de ses actions dans un but philanthropique, c’est toute la presse qui s’emballa. En effet, il annonçait¹ avoir fait don de 100 % de ses actions à des structures² permettant de protéger la nature et les valeurs de durabilité de Patagonia.

Cette nouvelle a mis un coup de projecteur sur le principe de la fondation actionnaire. Une révolution ? Pas tant que ça, du moins dans nos pays européens où ce modèle est plus répandu et ancien que l’éclat médiatique de Patagonia pourrait laisser entendre.

Qui sait par exemple que la plus importante capitalisation boursière européenne Novo Nordisk (Danemark) est détenue par une fondation ? Tout comme d’autres entreprises bien connues du grand public telles que Playmobil, Staedtler, Aldi, Bosch, LIDL, Zeiss (Allemagne) Carlsberg ou Lego (Danemark), Ikea (Suède), Rolex et Victorinox (Suisse), Les Laboratoires Pierre Fabre (France), les bières Chimay (Belgique) sont détenues entièrement ou en partie par… des fondations.

Qu’est-ce qu’une fondation actionnaire ?

Une fondation actionnaire est une fondation (ou une forme juridique similaire) qui détient tout ou partie d’une société commerciale. Elle a de ce fait une double mission : philanthropique en soutenant des projets d’intérêt général (notamment grâce aux dividendes qu’elle perçoit) et économique en jouant son rôle d’actionnaire.

Ce modèle de participation, qui permet de faire converger les intérêts économiques et philanthropiques, bien qu’elle soit peu connue, est une typicité bien européenne, née de l’essor industriel du début du vingtième siècle.

Dans les pays nordiques, elle s’est établie comme une véritable philosophie capitaliste. Au Danemark, plus de 50 % des entreprises cotées appartiennent à des fondations. On ne dénombre pas moins de 1 300 fondations actionnaires au Danemark et plus de 1 000 en Allemagne.

Quelles sont les motivations des actionnaires ?

De manière générale, ce modèle de gouvernance permet de répondre aux motivations économiques suivantes :
  • Sécuriser l’actionnariat : la fondation, qui ne peut généralement pas vendre ses participations dans l’entreprise, permet de se déconnecter des enjeux patrimoniaux des actionnaires ordinaires et se protéger de toute OPA hostile.
  • Assurer une stratégie à long terme et favorable à l’emploi : en opposition avec une approche court terme, la fondation permet de disposer d’un actionnariat stable et long terme ;
  • Assurer la pérennité de la mission fondatrice de l’entreprise et protéger les valeurs de l’entreprise. A titre d’exemple, la Fondation Staedtler qui détient la totalité de l’entreprise allemande du même nom alloue statutairement 95 % des résultats de l’entreprise à la recherche et développement en interne et le solde est distribué sous forme de dividende à la fondation pour financer des recherches universitaires ou des actions culturelles locales.
  • Transmettre l’entreprise dans un contexte parfois compliqué avec la jeune génération qui ne souhaite pas reprendre le flambeau ou l’absence d’héritier par exemple ;
  • Renforcer un patriotisme économique en sanctuarisant un ancrage territorial pour éviter les délocalisations et protéger l’emploi local. Pour rebondir sur le Danemark, il n’est peut-être pas anodin que ses fleurons industriels, détenus par des fondations, soient encore aujourd’hui en place.
Lorsque la fondation actionnaire a également une mission philanthropique³, d’autres motivations s’ajoutent :
  • Multiplier les ressources financières pour financer des projets philanthropiques en ligne avec les valeurs de l’entreprise. A ce titre, la fondation Novo Nordisk a dépensé en 2022 près de 920 millions d’euros pour la recherche scientifique et 80 millions d’euros pour l’aide humanitaire et sociale⁴.
  • Infuser des valeurs de responsabilité sociétale au sein de l’entreprise ainsi qu’une culture d’entreprise différenciante ;
  • Partager la valeur créée sereinement ;
  • Créer un projet familial fédérateur autour du bien commun via des projets philanthropiques qui rassemblent.

Qu’en est-il en Europe ?

En Belgique, la structure est peu courante mais existe dans le secteur brassicole des moines trappistes où par exemple la Fondation Chimay Wartoise est actionnaire de référence du Groupe Chimay, brasseur de la bière éponyme. Il s’agit ici d’une volonté des moines à l’origine de la fondation de séparer les préoccupations matérielles liées aux enjeux économiques du groupe de la vocation monastique de l’abbaye. On retrouve dans la mission de la fondation l’attachement au territoire qui a vu émerger l’entreprise et le souci de contribuer au développement durable de celui-ci.

Au Luxembourg, c’est André Losch qui a lancé la première et encore unique fondation actionnaire. Ses objectifs étaient clairs : assurer la pérennité de sa société, s’établir solidement au Grand-Duché et, parallèlement, soutenir la jeunesse au Grand-Duché. Il créée ainsi en 2009 la fondation d’utilité publique André Losch à laquelle il lèguera à son décès la totalité des titres de son entreprise.

En France, cette gouvernance vertueuse est encore peu répandue, bien que le sujet commence à faire quelques émules. A titre illustratif, en 2016, les fondations actionnaires constituaient un cercle très fermé de trois membres (la Montagne, les laboratoires Pierre Fabre et le groupe agroalimentaire Avril). Depuis, d’autres structures⁵, tout modèle économique confondu, ont fait également ce choix de gouvernance. Quand on y regarde de plus près, les motivations de ces entrepreneurs peuvent être très diverses et variées. En écoutant leurs témoignages, les objectifs varient en fonction des aspirations de chacun.

Pour qui ?

Tous les modèles économiques sont concernés.

Les entreprises familiales

En premier lieu, les entreprises familiales qui font face à des enjeux de transmission et voient dans la fondation actionnaire une alternative différente pouvant répondre à cet objectif. Avec, selon leur histoire, des motivations familiales telles que l’absence d’héritiers directs, éviter des démêlés familiaux, un souhait de faire perdurer et protéger une histoire entrepreneuriale familiale et les valeurs des fondateurs en s’assurant que l’entreprise ne soit pas vendue. D’autant plus que d’un point de vue fiscal, la transmission auprès d’un véhicule d’utilité public peut offrir des réductions voir des exonérations fiscales dans certains pays. Nous pouvons citer par exemple le groupe Naos (qui regroupe les marques NAOS, Bioderma, Institut Esthederm et Etat Pur) et son fondateur Jean-Noël Thorel qui a souhaité s’assurer que son entreprise ne soit jamais vendue et pérenniser ainsi son destin en protégeant son patrimoine.

PME

Au-delà de l’appétence des entreprises familiales pour la fondation actionnaire, on retrouve également des PME ancrées dans leur territoire. A l’image de l’entreprise nantaise CETIH qui a été dirigée pendant 26 ans par Yann Rolland qui en est devenu actionnaire majoritaire au fil du temps. Au moment de la transmission, ce dernier avait le sentiment que l’argent de l’entreprise ne lui revenait pas. Il crée ainsi avec sa femme et ses enfants un fond de dotation (Superbloom) auquel il donnera la moitié de ses actions et crée un projet familial philanthropique.

Start-ups en croissance

On peut aussi retrouver des start-ups en croissance voulant s’assurer de ne pas dénaturer leur mission suite aux divers levées de fonds auprès d’investisseurs de type private equity. L’entrepreneur Pascal Lorne, en créant son agence d’interim GoJob a donné dès le départ une partie de ses actions à un fonds de dotation français afin de s’assurer que son entreprise puisse accompagner vers l’emploi l’ensemble de la population française, y compris les personnes les plus éloignées de l’emploi (comme les NEETs⁶)

Entreprises de l’économie sociale et solidaire

On retrouve également des entreprises de l’économie sociale et solidaire qui cherchent à protéger leur mission d’intérêt général avec une gouvernance plus pérenne. Dans le secteur de l’entrepreneuriat social, cette pratique se répand de plus en plus, pour des motifs différents. A titre d’exemple, Mozaik RH, un cabinet de recrutement inclusif en France, est détenu par la Fondation d’utilité publique Mozaik qui devient par sa participation garante de la mission sociale de l’entreprise. Grâce aux dividendes générés, la fondation finance des programmes d’intérêt général qui complètent leur action d’entreprise tels que la formation de personnes éloignées de l’emploi.

Quel avenir pour les fondations actionnaires ?

La fondation actionnaire a-t-elle inventé un modèle de capitalisme vertueux ? Ceux qui ont opté pour ce modèle confirmeront cette motivation. Il n’est pas exempt de défis, notamment en termes de gouvernance où la pérennité économique peut se retrouver en porte-à-faux direct avec les valeurs de la fondation, comme ce que vit l’actionnariat de Playmobil, contraint à décider d’un plan de restructuration en 2023. Le rôle des enfants mais aussi de la fondation envers l’entreprise font également partie des grands défis de ces nouvelles structures. Il peut y avoir encore des freins juridiques, notamment en France où la réserve héréditaire est encore très significative (bien qu’il y ait maintenant la possibilité de faire une renonciation à une action en réduction).

En conclusion

la fondation actionnaire représente une fusion intéressante entre les mondes des affaires et de la philanthropie. Cette alliance complexe entre pérennité financière et impact social peut créer une force transformative conciliant la réussite commerciale avec un engagement sincère envers le bien commun. Elle peut être le lien entre ces deux mondes, créant un alignement d’objectifs : réussite économique, pérennité à long terme, prospérité et contribution au progrès de la collectivité. Ainsi, ce que l’idéal philanthropique conçoit, l’entrepreneuriat le concrétise. Nos exemples européens qui perdurent en sont la preuve.
Degroof Petercam accompagne les entrepreneurs dans leur réflexion en matière de gouvernance et mais également en matière en philanthropie que ce soit dans un contexte domestique que international.
Vous pouvez également trouver plus d’information en téléchargeant notre brochure sur la gouvernance familiale.
¹ https://eu.patagonia.com/lu/fr/ownership/

² 100 % de ses actions sans droit de vote ont été transférées au Holdfast Collective, une association à but non lucratif dont l’objet est de combattre la crise environnementale et de protéger la nature. 100 % des actions avec droit de vote ont quant à elles été transférées au Patagonia Purpose Trust, dont le but est de protéger les valeurs de durabilité de l’entreprise Patagonia.

³ Contrairement à la France et au Luxembourg qui ne peuvent avoir recours qu’à des formes juridiques ayant un objet philanthropique (sauf pour le fonds de pérennité en France) pour constituer une fondation actionnaire, les fondations actionnaires nordiques n’ont pas toute l’obligation de poursuivre un objet philanthropique. Il peut parfois s’agir de fondations familiales comme la fondation privée belge.

⁴ https://novonordiskfonden.dk/app/uploads/Novo-Nordisk-Foundation-Annual-Grant-Report-2022.pdf

⁵ La plupart de ces structures françaises sont regroupées aujourd’hui au sein de la communauté De Facto (Dynamique européenne en faveur des fondations actionnaires) qui a été créée en 2018 sous l’impulsion de Prophil afin d’inspirer et diffuser ce nouvel type d’actionnariat en France.

⁶ Not in Education, Employment or Training est une classification sociale d'une certaine catégorie de personnes sans emploi ne poursuivant pas d'études et ne suivant pas de formation. 
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