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Droit des sociétés : nouvelles règles applicables en 2019

Ariane Joris - Head of Estate Planning
La loi du 25 décembre 2017 avait introduit dans le Code des Impôts sur les Revenus une vaste réforme de l’impôt des sociétés. Si les dispositions contenues dans cette loi ne constituaient pas une vraie révolution, c’était néanmoins la réforme la plus approfondie de l’impôt des sociétés depuis sa création en 1962. Son objectif était de simplifier et de moderniser cet impôt qui, il est vrai, en avait bien besoin.
Mais comme la plupart des commentateurs, nous pensons que cet objectif n’a pas été réellement atteint car le législateur n’a pas (ou peu) supprimé de dispositions existantes (même si elles étaient obsolètes) mais a en réalité rajouté de nombreuses « couches » de mesures complémentaires. Ceci est la conséquence de la philosophie bien connue lors de réformes fiscales : tout nouvel avantage ou réduction d’impôt doit faire l’objet de mesures compensatoires car la réforme doit impérativement être neutre budgétairement. En conséquence, les praticiens de l'impôt des sociétés constatent que cet impôt n’aura jamais été aussi compliqué que de nos jours.
Une autre caractéristique de la réforme était son entrée en vigueur étalée sur plusieurs années ; beaucoup de dispositions étaient applicables dès 2018, puis une deuxième salve de mesures était prévue pour 2019 et la réforme se terminait par des dispositions applicables en 2020.
Nous nous concentrerons ici sur les dispositions qui sont entrées en vigueur en 2019.
La plupart de ces mesures 2019 découlent de la traduction en droit belge d’une directive européenne dite ATAD (anti-tax abuse directive) datée du 12 juillet 2016. Les dispositions de cette directive devaient être introduites dans chaque législation des Etats membres pour le 1er janvier 2019 au plus tard. La Belgique est donc tout à fait dans les délais.

DISPOSITIONS ATAD

Ces dispositions ATAD sont au nombre de 5. Elles sont fort techniques et, si elles s’appliquent à toutes les sociétés, en pratique, elles s’adressent principalement aux grandes entreprises multinationales. C’est pourquoi nous n’en donnerons qu’un aperçu ci-après.

Limitations de la déduction des intérêts

Les charges d’intérêts nettes (dépenses moins revenus d’intérêts) ne seront désormais plus déductibles comme frais professionnels qu’à concurrence de 30 % de l’EBITDA (« earnings before interest, tax, depreciation and amortization ») de la société, avec toutefois un montant minimum déductible en tout état de cause de 3 millions €.
Cette limitation s’applique tant aux intérêts payés à d’autres sociétés du groupe qu’aux intérêts payés à des tiers comme les établissements bancaires par exemple. En fait, on vise clairement les sociétés qui sont sous-capitalisées. Notons toutefois que les montants d’intérêts qui n’auront pas pu être déduits en fonction de cette règle resteront déductibles pour les exercices suivants, et ce sans limitation de durée.
La tendance à limiter la déduction fiscale des intérêts est observée un peu partout dans le monde : tant les USA que d’autre Etats hors UE ont adopté des règles plus ou moins similaires avec la volonté de combattre les planifications fiscales agressives par le biais du financement.

Règles CFC (Controlled Foreign Corporation)

Ces règles CFC (controlled foreign corporation) visent à taxer dans le chef de la société belge, les revenus réalisés par ses filiales ou succursales étrangères, que les bénéfices aient été distribués comme dividendes ou non. Sont visés les filiales et succursales qui paient un impôt inférieur à la moitié du normal de l’impôt des sociétés belges (imaginons que le taux d’impôt des sociétés en Belgique soit fixé à 25%, toute filiale ou succursale d’une société belge qui paie moins de 12,5% verrait ses bénéfices immédiatement taxés en Belgique). Cette règle s’applique aussi aux sociétés résidentes dans l’UE (exemple l’Irlande dont le taux d’impôt nominal est de 12,5 %).
En fait c’est une sorte de réplique de la Taxe Cayman mais applicable aux sociétés ; beaucoup de pays connaissaient déjà ce type de mesure (les USA depuis l’administration Kennedy !) mais pas encore la Belgique ou le Luxembourg.
Inutile de préciser que les conditions d’application sont extraordinairement techniques et complexes et donneront certainement lieu à de multiples interprétations et litiges.

C. Exit tax

Ces dispositions visent les situations de transfert d’actifs par une société belge vers un établissement étranger dont les bénéfices sont exonérés par convention. Ces mesures ne devraient pas avoir beaucoup d’impact en Belgique vu que notre Code connait déjà un régime fiscal applicable à ce type de transactions.

Dispositifs hybrides

A nouveau ce sont des mesures très techniques qui veulent combattre des planifications qui ont été très en vogue dans les années 2000. L’idée de base était d’avoir des qualifications juridiques différentes d’un même instrument financier dans deux ou plusieurs Etats. Imaginons un instrument financier qui est qualifié d’obligation dans l’Etat A et d’action dans l’Etat B. La société de l’Etat A va payer à une société de l’Etat B des intérêts et va les déduire au niveau fiscal ; par contre la société de l’Etat B va recevoir, selon sa qualification de l’instrument, des dividendes et ne va pas être taxée sur ces revenus. En d’autres termes, il y a déduction de dépense sans avoir de revenu imposable correspondant.
C’est à ce type de pratique que s’attaque la directive ATAD : en résumé, une déduction fiscale ne sera admise que si les montants déduits sont taxés chez le bénéficiaire. A nouveau, tant la directive que la loi de réforme en Belgique nous proposent des règles extrêmement complexes.

GAAR (General Anti Abuse Rule)

Une règle générale est introduite pour s’attaquer aux dispositifs jugés abusifs. L’administration fiscale peut ne pas reconnaître un acte ou un ensemble d’actes juridiques lorsque, au vu des circonstances, elle juge qu’il y abus fiscal : en très résumé, lorsque ces actes ne sont justifiés que par des motifs fiscaux et ne répondent en rien à une quelconque réalité économique. Evidemment, c’est le juge qui décidera en dernier ressort s’il y a abus fiscal ou non.
La mesure prévue dans la directive ATAD est conforme à la disposition anti-abus de l’article 344, par.1 CIR (introduite dans notre Code depuis l’exercice d’imposition 2013) et n’a donc pas fait l’objet d’une modification.
2. Consolidation fiscale « à la belge »
En dehors de la transposition des dispositions ATAD dans notre Code, la loi du 25 décembre 2017 a enfin introduit une sorte de consolidation fiscale en Belgique.
Depuis l’établissement de l’impôt des sociétés, notre Code ne connaissait pas de « consolidation fiscale «, c’est-à-dire l’établissement de l’imposition d’un groupe de sociétés sur base de tout ou partie de ses résultats consolidés. Quasiment tous les pays industrialisés du monde disposaient au moins d’un type de consolidation fiscale, mais pas la Belgique. Le fisc craignait en effet que le coût budgétaire de cette mesure soit considérable ; il est vrai qu’une consolidation entraîne des avantages pour les groupes de sociétés : compensation des bénéfices d’une société du groupe par les pertes d’une autre société du groupe, neutralisation des opérations inter-groupe, etc. Mais il est aussi évident que les groupes de sociétés s’étaient organisés depuis longtemps pour pallier à cette absence de consolidation.
Quoi qu’il en soit, un régime de soi-disant consolidation fiscale est disponible depuis 2019. Ce n’est pas une consolidation proprement dite mais il est à présent autorisé qu’au sein d’un groupe de sociétés, une société bénéficiaire puisse « transférer » tout ou partie de ses bénéfices à une autre société déficitaire du même groupe ; ceci permet de compenser les pertes de la société déficitaire par des bénéfices de la société bénéficiaire, et de permettre à cette dernière de déduire fiscalement le montant du bénéfice transféré. Le résultat au niveau des bénéfices/pertes est à peu près identique à celui d’une vraie consolidation mais il ne s’étend pas aux autres opérations inter-groupe (exemple une plus-value sur la vente d’un actif d’une société à une autre). De plus, le régime n’est applicable qu’à partir du 1er janvier 2019 : les pertes réalisées avant cette date ne sont donc pas concernées par ce système de transfert de bénéfices. Comme prévisible, des conditions strictes sont d’application.
Il faudra évaluer cette nouvelle mesure sur base de l’expérience. En tout cas, elle permet d’enfin reconnaître au niveau fiscal la réalité économique que constitue un groupe de sociétés.
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