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Cinq questions macroéconomiques sur la crise du coronavirus

Hans Bevers - Chief Economist
La crise du Covid-19 a inauguré une phase d'incertitude sans précédent et soulève de nombreuses questions sur l'évolution future de l'activité économique. L'économiste en chef Hans Bevers fait le point à travers cinq questions macroéconomiques incontournables.

1. À quel genre de crise économique sommes-nous confrontés ?

La crise économique résultant de la crise du coronavirus est atypique. Nous sommes confrontés à la fois à un choc négatif de l'offre et à un choc négatif de la demande. Au cours du premier trimestre - à partir de la mi-mars en Europe et aux Etats-Unis et depuis janvier en Chine - des pans entiers de l'économie et de la société ont été délibérément mis à l’arrêt afin de contenir la propagation du virus. À cela s'ajoutent un choc financier et un choc de confiance. La situation est clairement différente de celle de la Grande Dépression des années 30 ou de la Grande Récession de 2008-2009. L’économie a été durement touchée en raison des risques qui s'étaient accumulés au fil des ans dans le système financier lui-même. Aujourd’hui, c’est le choc d'un virus. En conséquence, l'économie de la plupart des pays est en train de faire un plongeon sans précédent. Pour les secteurs les plus axés sur la consommation, tels que le tourisme, le commerce de détail, la restauration et les divertissements, le coup est particulièrement dur. Cette crise est également caractérisée par son caractère mondial et très incertain. Les pandémies ne respectent pas les frontières et le comportement du virus reste très imprévisible. Cette incertitude a également un impact majeur sur la confiance des ménages et des entreprises. Selon le scénario de référence du FMI, l'activité économique mondiale se contractera de 3 % cette année. Pour la zone euro, une contraction de 7,5% est prévue. Mais il y a une réelle chance que ces prévisions soient révisées à la baisse.

2. À quelle reprise économique pouvons-nous nous attendre ?

La plupart des prévisionnistes prévoient une nette reprise de l'activité économique en 2021. Le FMI s'attend à ce que l'économie mondiale croisse de près de 6 % l'année prochaine. En ce qui concerne la zone euro, le consensus est de 5,5 %. Bien que le point de départ soit nettement plus bas après le fort impact initial, et que la marge de reprise soit donc beaucoup plus importante, il est important d'affiner ce type de prévision. La vérité est que l'incertitude est encore plus grande que d'habitude. S'il est raisonnable de s'attendre à ce que les chiffres du PIB redeviennent verts au second semestre - en fait, la reprise a déjà commencé, car l'assouplissement progressif des mesures de confinement implique que l'activité économique reprendra également - l'économie ne tournera pas à plein régime avant longtemps. En raison de l'assouplissement progressif des mesures, de la hausse du chômage et de l'incertitude persistante, les ménages et les entreprises consommeront et investiront peu. De plus, le risque d'une nouvelle vague de contagion est élevé. En attendant un vaccin - le consensus est qu'il faudra encore au moins douze mois avant qu'il puisse être administré à grande échelle - l'économie restera affaiblie. Ou, pour reprendre les termes de Bill Gates : « L'humanité vaincra cette pandémie. Mais seulement lorsque la majorité de la population sera vaccinée. D'ici là, la vie ne reviendra pas à la normale. »Cela rejoint le message du virologue belge de renommée mondiale Peter Piot. Mais même dans ce cas, il est à craindre que le tissu économique ait entretemps subi des cicatrices.

Notre scénario de base à long terme : une croissance économique modeste, une faible inflation et des taux d'intérêt réels très faibles ou négatifs.

3. Faut-il craindre la déflation ou l'inflation ?

De nombreux observateurs craignent l'arrivée de l'inflation. Le raisonnement est que la combinaison d'un fort rattrapage de la demande, d'une offre réduite et des politiques budgétaires et monétaires très expansives des gouvernements et des banques centrales va provoquer une flambée des prix. Pour l'instant, ceci n'est pas la principale préoccupation. Le chômage a fortement augmenté dans la plupart des pays. En raison de la perte de pouvoir d'achat et la faiblesse persistante de la demande de biens, de services et des investissements, les forces déflationistes sont susceptibles de prédominer. Qu'en est-il des programmes massifs des gouvernements et des banques centrales ? Pour l'instant, il ne s'agit pas tant de mesures de relance que de mesures de transition afin d'atténuer la perte de revenus et de sauvegarder autant que possible l'accès au financement. En ce qui concerne les programmes d'assouplissement quantitatif (QE- « Quantitative Easing »), il est essentiel de faire une distinction entre la monnaie de base, d'une part, et la masse monétaire, d'autre part. Lorsqu’une banque centrale achète des actifs financiers, elle augmente la base monétaire. Mais la masse monétaire totale en circulation n'augmente pas dans la même mesure. Cette dernière est principalement fonction des prêts bancaires à l'économie réelle. Et lorsque les perspectives économiques sont faibles, la demande de prêts l’est également. Tant que l'économie ne tourne pas à plein régime, nous devons probablement nous préoccuper davantage des forces déflationnistes que des forces inflationnistes. Néanmoins, nous ne voulons pas minimiser le risque d'une inflation plus élevée à long terme. C’est principalement dû au grand nombre d'obligations supplémentaires que les gouvernements ont récemment émises, combiné à l'attente que les banques centrales maintiennent leurs taux d'intérêt directeurs autour de 0 % pendant longtemps.

4. La forte augmentation de la dette publique est-elle problématique ?

La baisse importante des recettes fiscales ainsi que la forte augmentation des dépenses publiques dans le but de préserver au mieux la résilience de l’économie durant la période de confinement ont eu pour conséquence de faire passer les budgets publics fortement dans le rouge ainsi qu’une augmentation notable du ratio de la dette (dette publique en pourcentage du PIB).Cependant, il n'y a pas lieu de s'inquiéter outre mesure à ce sujet. La raison en est que la viabilité de la dette publique est déterminée non pas tant par le niveau du ratio d'endettement que par la dynamique de la dette publique. En effet, tant que le taux d'intérêt sur la dette publique est inférieur au taux de croissance nominal (la somme de la croissance réelle et de l'inflation), le taux d'endettement évoluera toujours vers un niveau stable. Si le déficit primaire (c'est-à-dire le déficit public hors charges d'intérêts) diminue également, le ratio de la dette publique se réduira progressivement, sans que le gouvernement n'ait à augmenter les impôts ou à réduire les dépenses. La priorité absolue est la reprise de l'activité économique. Une épargne publique prématurée, c'est-à-dire avant que l'activité économique et le marché du travail n'aient retrouvé leur vitesse de croisière, ne serait vraiment pas une bonne idée. C'est une leçon importante, à la fois de la dernière décennie et des années de crise des années 30. D'autre part, il serait judicieux d'augmenter la part des investissements visant à améliorer la productivité. Cela comprend les investissements dans les infrastructures, la mobilité, l'éducation et l'innovation. Les recherches montrent que de tels investissements peuvent réellement stimuler le potentiel de croissance de l'économie. Toutefois, il reste à voir dans quelle mesure les décideurs politiques agiront réellement sur base de ces idées [1].

5. Dans quelle mesure cette crise modifie-t-elle notre scénario économique à long terme ?

Il est difficile de faire des prévisions, surtout lorsqu'il s'agit de l'avenir, comme le dit le proverbe. Comme précisé ci-dessus, une reprise socioéconomique longue et difficile nous attend probablement après ce choc économique historiquement grave. Il faudra peut-être plusieurs années avant que l'activité économique ne retrouve son potentiel. Notre scénario de base repose sur une croissance économique modeste, une faible inflation et des taux d'intérêt réels très faibles ou négatifs. En outre, il existe une réelle probabilité que cette crise renforce et accélère un certain nombre de tendances, telles que le travail à domicile, la mise en œuvre d'applications numériques et un meilleur aménagement du territoire. Mais il peut en être de même dans d'autres domaines, comme les tensions géopolitiques et la polarisation des relations sociales ou l'inégalité. Nous ne pouvons pas aborder tous les aspects ici. Il semble y avoir un risque réel que cette pandémie donne une impulsion supplémentaire à la voie de la démondialisation déjà amorcée. Les nouvelles technologies, le populisme, les tensions commerciales et la prise de conscience accrue du réchauffement climatique ont fait réfléchir les entreprises occidentales depuis un certain temps pour savoir si elles pouvaient rapprocher leur production de chez elles. Cette pandémie va intensifier l'attention portée aux risques liés aux chaînes d'approvisionnement à l'échelle mondiale et encourager une réduction de la dépendance vis-à-vis des entreprises de pays éloignés. En conséquence, les chaînes d'approvisionnement deviendront plus régionales afin d’être moins sujettes aux perturbations. Cette évolution ne doit pas être un scénario négatif en soi, du moins si elle est progressive et contrôlée. Le risque d'une réaction excessive et d'une nouvelle dérive vers le protectionnisme est en effet réel. En outre, l'attitude irresponsable des États-Unis dans de nombreuses institutions multilatérales signifie que la Chine tente d'acquérir une influence géopolitique supplémentaire. Quoi qu’il en soit, il ne semble pas y avoir une forte coordination internationale, bien au contraire.
[1] Gentse Economische Vooruitzichten, nummer 1, 17 april 2020, Economisch beleid in Tijden van Corona: een kwestie van de juiste uitgaven te doen, Universiteit Gent.
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